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6 Février 1934 / 6 février 2004
70 ans après... qu'a-t-on retenu du passé ?

Emeute Place de la Concorde à Paris, le 6 février 1934 - Charge des forces de police contre les ligues factieusesA l'heure de la montée en puissance de divers courants de pensée extrémistes profitant des crises que traversent la plupart des Etats de la planète (mouvements politiques nationalistes et mouvements religieux notamment), il a semblé à l'Association Thucydide-Conception de rappeler ce que sont les fascismes.

Ce dossier, né un peu rapidement, s'étoffera au fil des semaines et des mois.

Nous commencerons par un rappel, un anniversaire : le "coup de force" du 6 février 1934, journée durant laquelle la République française, parlementaire et démocratique, fut menacée par les ligues factieuses (mouvements fascisants)

 
De quel événément parle-t-on ?

Le 6 février 1934, la Chambre des Députés doit voter la confiance au cabinet d'Edouard Daladier qui vient de révoquer le préfet de police Chiappe. Des ligueurs et des anciens combattants, indignés par cette décision, marchent en direction du palais Bourbon (l'actuelle Assemblée Nationale). Les forces de l'ordre tirent sur les manifestants qui tentaient de tranchir le pont de la Concorde. On déplore de nombreux blessés et douze morts. Les Croix de feu du général de la Roque restent, quant à elles, à part et s'abstiennent d'attaquer réellement. Le parti communiste, misant sur une conjoncture révolutionnaire, envoit des manifestants dans la rue pour combattre la police et participer à la chute du régime.

Les troubles dans Paris durent encore toute la journée du lendemain. Il n'y a donc pas eu vraisemblablement de volonté réelle d'une majorité de manifestants de renverser la République ; le 6 février 1934 s'apparente ainsi plus à une manifestation de rue qui a dégénéré qu'à une véritable
tentative de coup d'Etat.

Quelles en sont les causes ?
1934 - Défilé de membres de "solidarité française" aux obsèques de Lucien Gariel - ANONYME - Musée d'histoire contemporaine / BDICL'essor des ligues (Jeunesses patriotes de Pierre Taittinger, Faisceau de Georges Valois, Action française de Charles Maurras, Croix de feu du colonel de La Roque, Francisme, Solidarité française, etc.). Proches de l'extrême-droite, les ligues sont des mouvements hérités de la tradition du boulangisme, du bonapartisme, d'une vague de nationalisme et de militarisme après la première guerre mondiale. Leur essor s'explique également par un contexte international tendu, caractérisé par la montée du fascisme en Italie, des régimes autoritaires en Europe centrale et orientale comme du nazisme en Allemagne (élection d'Hitler comme chancelier le 30 janvier 1933). On soupçonne aujourd'hui que certaines de ces ligues étaient discrètement subventionnées (sans doute pour mieux les contrôler) par le ministère de l'Intérieur.
  L'essoufflement des radicaux, alors au pouvoir, alliés avec la droite et à la recherche du soutien de la SFIO.
  L'affaire Stavisky. Cette escroquerie éclaboussa une partie de la classe politique ; conjuguée au suicide de l'homme d'affaires, elle donna lieu à une campagne de presse de la droite et des ligues contre les radicaux, le personnel parlementaire et, in fine, la IIIème République elle-même.
 

La révocation du préfet de police Chiappe, début fébrier 1934, jugé trop indulgent envers ces attaques et manifestations.

Quelles en sont les conséquences ?
La République n'est pas renversée mais Daladier, qui avait obtenu la veille la confiance de la chambre des Députés, démissionne le 7 février. Le Président de la République (Albert Lebrun) demande alors à Gaston Doumergue, ancien président de la République, de constituer un gouvernement d'union nationale. Celui-ci, plutôt à droite, comporte quelques radicaux comme Sarraut et Herriot.
  La crainte, fondée ou non (les historiens étant en désaccord sur ce point) d'un fascisme français entraîne :
    - un regain de combativité des partis de gauche (grève générale contre le fascisme le 12 février 1934 où socialistes et communistes apparaissent unis ; fondation le 5 mars 1934 du comité de vigilance des intellectuels antifascistes par Paul Rivet, Paul Langevin et Alain, etc.)
    - l'union de la gauche, scellée à l'issue d'une manifestation le 14 juillet 1935, sous la forme du Front Populaire (SFIO/PCF/parti radical mais aussi Union socialiste républicaine, CGT, CGTU, ligue des droits de l'Homme, comité de vigilance des intellectuels anti-fascistes, Comité Amsterdam-Pleyel), vainqueur des élections législatives de mai 1936.
Quelles parallèles peut-on faire avec notre société aujourd'hui ?
Les manifestations organisées par des étudiants, lycéens et des partis de gauche en avril-mai 2002 (manifestation majeure le 1er mai 2002), en réaction à la montée en puissance du Front National, présent pour la première fois au second tour de l'élection présidentielle face à un candidat conservateur républicain, ne sont pas sans rappeler la grève générale contre le fascisme du 12 février 1934.
  Cette montée de l'extrême droite française s'explique notamment, comme dans les années trente, par des données nationales (crise économique, d'identité nationale, multiplication des affaires politiques, etc.) mais aussi européennes avec le développement de partis comparables en Italie, Autriche, Suisse, Belgique, etc.
 

Enfin, il est important de rappeler que les fascismes ont toujours joué sur les peurs des populations et le manque de crédibilité des dirigeants politiques au pouvoir, pour faire passer leurs messages. Aujourd'hui, alors que la France est confrontée à des crises identitaires (replis communautaires et religieux), sociales (le nombre d'exclus ne cesse d'augmenter) et politico-économiques (donnant le sentiment que dirigeants politiques et économiques ne contrôlent rien et se protègent les uns les autres), l'un des risques majeurs de la République et de la Démocratie est de se disloquer au profit de mouvements factieux à connotation nationaliste et/ou religieuse.

 
L'Histoire ne se répète jamais... Mais oublier les leçons du passé, n'est-ce pas prendre le risque de voir se produire des éléments similaires aux conséquences graves ?
 
Rédaction : Laurent Weill - Historien, géographe
Mise en ligne et co-rédacteur de la conclusion : Patrice Sawicki