Une critique de la
guerre du Vietnam
L'action du film se situe en 1969, après
l'offensive du Têt de janvier 1968, c'est-à-dire
à un moment où les Etats-Unis ne sont plus sûrs
de pouvoir remporter militairement cette guerre, à
un moment où l'Amérique commence à douter,
où l'armée est ravagée par la drogue
et des trafics en tout genre.
Le film, inspiré du roman de Joseph Conrad, Au cur
des ténèbres, 1898, est tourné au lendemain
de la guerre du Vietnam, en 1975-1976, peu de temps avant
l'arrivée de Jimmy Carter à la Maison Blanche,
moment où l'Amérique remet en cause et critique
son engagement passé en Asie du Sud-Est, qui s'est
soldé par un échec.
C'est l'un des premiers films abordant directement la guerre
du Vietnam. Or, cette guerre marque une véritable rupture
dans les rapports entre Hollywood et l'Etat américain.
En effet, jusqu'alors, le cinéma avait toujours soutenu
l'engagement militaire du pays, n'hésitant pas à
produire des films de propagande pendant les deux guerres
mondiales (Casablanca, M. Curtiz, 1942 ou Le port
de l'angoisse, H. Hawks, 1944) pour soutenir la politique
du gouvernement. Avec le Vietnam, tout change. Certes, il
faut attendre la fin du conflit pour voir des films traiter
du conflit (Voyage au bout de l'enfer, M Cimino, 1978)
et en faire une critique. Pourtant, on peut déjà
apercevoir dès les années 1960 des films qui
condamnent l'intervention américaine au Vietnam. Robert
Altman, par exemple, avec M.A.S.H. en 1969, nous livre
davantage une critique du conflit vietnamien que de la guerre
de Corée.
Apocalypse Now rentre donc dans cette lignée
de films très critiques sur l'engagement américain.
La guerre est vue du côté américain, et
la critique n'en est que plus forte. Coppola ne réalise
pas un film de guerre, mais plutôt un film sur la guerre.
Le parcours du capitaine Wilard sur un fleuve hostile qui
le mène au colonel Kurtz ressemble à un voyage
intérieur, une introspection (la voix off de Wilard
est récurrente tout au long du film) et, dans le même
temps, Coppola nous emmène dans un voyage vers la folie
et l'horreur de la guerre que semble incarner le colonel Kurtz.
Le réalisateur du Parrain nous montre aussi une certaine
réalité du conflit et nous livre ses interrogations,
partagées par nombre de ces concitoyens à l'époque.
Une armée gangrénée
par la drogue et les trafics
L'armée américaine est gangrenée par
la drogue, à l'image de Lance Johnson, un des membres
de l'équipage de Willard, et surfer professionnel.
Elle est aussi le lieu de trafics en tout genre, comme le
montre la séquence à la base de ravitaillement
: trafics de motos, d'alcool, de drogue qui sont plus importants
pour le sergent que le service normal. L'armée en tout
cas ferme les yeux sur cela.
Une critique de la
colonisation
Pourquoi le Vietnam ? La question est clairement posée
dans la séquence de la plantation française,
rajoutée dans Apocalypse Now Redux. Dernière
étape avant l'arrivée au camp de Kurtz, cette
plantation française est comme une apparition, un lieu
peuplé de fantômes surgis d'un passé colonial
révolu. L'arrivée et le départ s'effectuent
d'ailleurs dans le brouillard, comme pour mieux souligner
le côté étrange, presque surnaturel de
ce lieu et de ses habitants. Qui sont-ils ? Des colons français
installés depuis des décennies qui défendent
leur territoire. Cette vieille demeure coloniale est en total
décalage avec la réalité de la guerre
: un certain luxe, avec des serviteurs vietnamiens; on maintient
les traditions françaises comme l'éducation
des enfants, la cuisine, mais dans une atmosphère de
chaos, comme le montre la dispute qui gagne les convives à
table. Wilard est d'ailleurs plus un spectateur qu'un acteur.
Ces tenants du colonialisme appartiennent bien au passé,
et Coppola se livre à une sévère critique
de la colonisation. Mais le réalisateur montre aussi
l'inutilité de l'engagement américain dans le
face à face qui oppose Hubert Desmarais, le propriétaire
de la plantation, au capitaine Wilard. "Vous les Américains,
vous vous battez pour rien du tout" ; c'est bien
ce que pense Coppola au moment où il tourne cette scène,
et ce que pensent beaucoup d'Américains à l'époque.
Les soldats eux-mêmes dans le film ne comprennent pas
ce qu'ils font là. Thème récurrent dans
les films sur le Vietnam.
Apocalypse Now demeure un film spectaculaire, mais
sa dimension épique recèle une réflexion
politique qui sort du simple cadre historique, pour s'attacher
au rapport des hommes avec la guerre, au rapport entre les
actes individuels et leur dimension collective.
Gaëtan Chaubert (Enseignant en Histoire)
|