Comprendre> Les laïcités dans le monde (Dossier Octobre 2005)
 
 

Le Canada

Si l’on veut parler de la relation existant au Canada entre le politique et le religieux, il ne faut pas hésiter à utiliser le terme laïcité. Concrètement, cela se caractérise par, comme aux Etats-Unis et comme le relève Micheline Milot dans son article « séparation, neutralité et accommodements en Amérique du Nord » in Jean Baubérot (dir), La laïcité à l’épreuve, Religions et libertés dans le monde, Paris, Universalis, sept. 2004, coll Le tour du sujet, deux choses. D’une part l’autonomie de l’Etat par rapport aux pouvoirs religieux existe, même si n’existe aucun fait d’émancipation historique du politique par rapport au religieux ou de donnée constitutionnelle laissant penser que le Canada est sous un régime de séparation. Tacitement, le Canada repose sur le principe de laïcité. D’autre part la pluralité religieuse est réellement présente dans cette société peuplée d’immigrants d’origines très diversifiées.

Bref historique

Deux églises principales coexistent dès l’origine au Canada, à savoir l’église anglicane et l’église catholique romaine. En effet, lorsque en 1759, s’opère la conquête britannique, elle intervient dans un pays majoritairement catholique et donc par souci pragmatique, la puissance coloniale n’imposera pas un statut de religion d’Etat à l’Eglise anglicane La conquête britannique (milieu du 18 ème siècle) de ce qui était jusque là la Nouvelle France entraîne en effet la coexistence de deux religions différentes dès l’origine au Canada. La seule solution envisageable est donc d’organiser la liberté religieuse dans ce Canada de la fin du 18 ème siècle puisque les catholiques sont historiquement implantés et nombreux. De là, une pratique tolérante se développe (liberté de croyance et d’exercice du culte, neutralité de l’Etat).

Plusieurs dates se succèdent qui organisent la liberté religieuse. 1763 marque l’octroi de la liberté de religion aux catholiques, 1774 réaffirme cette liberté, tout en supprimant le serment du Test qui obligeait les catholiques pour accéder aux fonctions publiques à abjurer de la fidélité au pape. Le principe de l’Eglise établie n’a jamais trouvé à s’appliquer réellement au Canada et ce en raison de l’éloignement de la maison mère, à savoir l’Angleterre, et par ailleurs, la religion établie en Angleterre (la religion anglicane) n’a jamais été au Canada une religion combative à ce sujet. 1867 correspond à la loi constitutionnelle de la fédération Canadienne : aucune ligne de cette constitution ne précise quels sont les rapports Eglises-Etat. Le financement public du religieux et de ses bâtiments n’est pas précisé et ne semble donc pas relever de l’Etat. Mais en même temps, aucune trace dans cette loi constitutionnelle de la liberté religieuse.

Comme le relève Micheline Milot dans son article précédemment cité, c’est paradoxalement qu’en 1982 la nouvelle constitution Canadienne fait référence à Dieu, précisant dans son préambule que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la règle du droit ». Madame Milot rappelle alors le jugement O’Sullivan C. MRN (1992) de la Cour fédérale qui estime que ce « principe empêche le Canada de devenir un Etat athée mais ne l’empêche pas d’être un Etat laïque »

La laïcité canadienne aujourd’hui

La laïcité est donc le principe général au Canada , même si la laïcité ne connaît pas d’existence légale. L’Etat est ainsi quasiment indifférent aux religions. En revanche, la liberté de conscience et de religion revêt une importance fondamentale et sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés (http://lois.justice.gc.ca/fr/charte/ ). Cette liberté de conscience et de religion est la première des libertés fondamentales protégées par cette charte.

Prenons un cas concret : le voile. Une jeune fille qui désire porter le voile à l'école publique peut arguer de son droit à la liberté de religion, et de l'interdiction d'une discrimination fondée sur les croyances religieuses. Et toute distinction de prime abord discriminatoire emporte une obligation d' « accommodement » pour l’institution, sauf s'il y a « contrainte excessive ». En dehors de cas particuliers, il apparaît difficile de voir en quoi le port de symboles religieux constitue une contrainte excessive pour une institution d'enseignement. Comme il a été écrit à de nombreuses reprises dans la jurisprudence, « l’Etat est neutre, les institutions publiques sont laïques mais les individus ne le sont pas ».

L’ « accommodement raisonnable » revêt ainsi au Canada une importance fondamentale. Il oblige les institutions publiques et les entreprises privés à adapter voire à modifier des normes générales pour répondre aux besoins particuliers des minorités religieuses. Il s’agit donc de reconnaître les particularismes tout en préservant les normes communes, comme le relève Micheline Milot. Et celle insiste bien sur le fait que ces droits accordés aux individus pour satisfaire leur liberté religieuse sont des « droits exigences ». Elle reprend ici les termes de Monsieur Mourgeon (Mourgeon, Les Droits de l’homme, PUF, coll Que sais-je ?). Peut-on penser que ce qu’elle qualifie de « droits exigences » correspond à nos « droits créances », autrement dit nos droits qui impliquent une obligation d’agir de l’Etat, avec souvent un engagement important de fonds publics, à opposer à nos « droits libertés » qui imposent un « laisser-faire » de la part de l’Etat ? Sans aucun doute puisqu’elle précise par la suite que l’Etat canadien doit « veiller activement à ce qu’aucune mesure discriminatoire ne s’exerce à l’encontre des individus ».

Pour appliquer cet accommodement, on pourrait penser que l’Etat canadien a prédéfini ce qu’est une religion. Or, ce n’est pas le cas. L’Etat ne se reconnaît pas compétent pour déterminer ce qu’est un dogme reconnu et acceptable. L’Etat va se baser, pour satisfaire les obligations de l’accommodement sur, comme le précise Micheline Milot, « le caractère raisonnable de la demande, le coût excessif qu’elle peut entraîner, les seules limites réelles étant l’ordre public et les droits d’autrui ». Il existe par ailleurs des privilèges constitutionnels (constitution de 1863 et 1982) accordés aux religions catholique et anglicane en Ontario et au Canada dans le domaine scolaire. Mais sous la seule réserve du respect de l’ordre public et des droits d’autrui, la liberté religieuse est complète et c’est le juge qui est seul gardien de la neutralité de l’Etat.

L’accommodement canadien semble être enfin un facteur positive d’intégration sociale des individus qui relèvent de minorités religieuses. Ils peuvent en effet, comme le relève Micheline Milot, « exprimer leur identité confessionnelle sans devoir restreindre sa manifestation dans l’espace privé ou communautaire ».

 
 
Dossier établi par Mademoiselle Aurore RUBIO, étudiante en troisième cycle de Droit et d'Histoire.