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Danton
1982 - Andreï Wajda


Paris, printemps de l'An II (1794). La France depuis septembre 1793, est plongée dans la Terreur. Danton, un député montagnard et l'un des leaders de la Révolution, revient à Paris dans l'espoir de mettre un terme à la Terreur, mais il se heurte au Comité de Salut Public, gouvernement révolutionnaire collégial qui dirige la France, avec comme principales figures : Robespierre et Saint-Just. Danton trouve des appuis parmi les députés : Desmoulins, journaliste qui, dans son journal Le Vieux Cordelier, lance des attaques contre le gouvernement, Delacroix et Philippeaux. Dans la nuit du 9 au 10 germinal an II (29-30 mars 1794), le Comité de Salut Public, en accord avec le Comité de Sûreté Général, chargé de la police et de la justice, décrète d'arrestation les quatre députés. Robespierre en personne vient défendre à la Convention le décret d'arrestation qui est finalement voté à l'unanimité. Ils sont jugés, puis guillotinés après un procès expéditif le 16 germinal an II (5 avril 1794).

 

Un film politique ?

Le film d'Andreï Wajda respecte, dans ses grandes lignes, les événements historiques. Mais à y regarder de plus près, le réalisateur polonais, qui restitue avec une grande justesse les décors, nous parle surtout de la Pologne de 1982 et du communisme.

La pologne de 1982
A l'époque, la Pologne traverse une grave crise politique. Passé sous la coupe de Moscou après la Seconde Guerre mondiale, le régime communiste est de plus en plus mal accepté par la population. A l'été 1980, une grève générale, en réponse à une hausse brutale des prix décidée par le gouvernement, touche toute la Pologne qui se trouve paralysée.
Solidarité (Solidarnösc), un embryon de syndicat autonome vis-à-vis de l'Etat et du Parti, voit le jour avec à sa tête un ouvrier électricien au chômage, Lech Walesa. Un accord est finalement conclu avec le pouvoir le 31 août 1980, qui reconnaît l'existence de ce syndicat autonome. La conséquence politique de cette première crise est la nomination d'un libéral à la tête du Parti Communiste Polonais, Stanislaw Kania, et la nomination du général Jaruzelski à la tête du gouvernement. Police anti-émeutes en Pologne - Années 70-80Les conservateurs reprennent en main le parti au Congrès suivant, en juillet 1981, sous l'œil bienveillant de Moscou qui n'apprécie pas ce qui se passe en Pologne. Le général Jaruzelski cumule désormais tous les pouvoirs : il est à la tête du Parti et de l'Etat. Fort de ses 10 millions d'adhérents, le syndicat Solidarité, appuyé par l'Eglise, représente une menace pour le pouvoir polonais.
Aussi, redoutant une intervention de l'Armée rouge, le général Jaruzelski décide dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981 d'arrêter les principaux dirigeants de Solidarité et d'interdire le syndicat ; les militaires prennent également possession de la télévision.


"Danton-Walesa" contre "Robespierre-Jaruzelski"

C'est donc dans ces circonstances que Wajda réalise Danton et son film est truffé de références sur la situation polonaise de l'époque. A travers les deux principaux personnages du film, Danton et Robespierre, il nous montre l'affrontement entre Walesa et Jaruzelski.
La séquence de l'entrevue Danton-Robespierre est à cet égard exemplaire : l'entrevue a lieu dans une petite pièce d'un hôtel parisien ; c'est un huis clos à l'atmosphère oppressante. Danton est montré bon vivant (il boit du vin pendant toute la séquence), affalé sur son siège. C'est le seul à se déplacer et occupe ainsi l'espace, tout en expliquant qu'il se bat pour le bien du peuple qu'il connaît, afin qu'il retrouve sa liberté et pour cela il critique le gouvernement. " Tu oublies que nous sommes fait de chair et d'os ! ", lance-t-il à son interlocuteur. Robespierre, au contraire, reste immobile, droit sur son siège et touche à peine son verre de vin, incarnant ainsi l'idée de vertu qu'il veut faire triompher. Il apparaît dogmatique, froid, faisant entrer l'idée de bonheur du peuple dans une conception théorique ; homme de gouvernement qui agit au nom du peuple, il ne le connaît pas, il en est éloigné. Il n'hésite pas à menacer Danton : " Si tu mets fin à tes attaques, je te promets que tu n'auras plus rien à craindre ".
     Wajda joue avec la réalité historique pour nous délivrer son message. En effet, si cette entrevue a bien eu lieu, elle s'est faite sur la demande de Danton et non pas de Robespierre. D'autre part, si l'un des deux hommes était proche du peuple, c'est plutôt Robespierre que Danton. Ils sont tous deux avocats, mais l'un est riche (Danton), alors que l'autre a surtout défendu des gens simples et n'a tiré aucun bénéfice financier de la Révolution. De plus, Robespierre était bien plus populaire parmi les sans-culottes parisiens que Danton.
     Au-delà de la réalité historique, ce qui importe c'est le sens que peut prendre cette séquence pour un spectateur de l'époque, et plus particulièrement pour un Polonais. L'homme politique dogmatique qui dit agir au nom du bien du peuple qu'il ne connaît pas, c'est bien Jaruzelski. L'homme menacé par le pouvoir en place et qui a le vrai pouvoir, celui de la rue, c'est Walesa et son syndicat Solidarité qui représente une menace pour le pouvoir. C'est pour cette raison qu'il est arrêté.


Une dénonciation du communisme

Il n'y a pas que le face-à-face Walesa-Jaruzelski qui est abordé dans ce film, mais aussi, de manière plus générale, la situation politique de la Pologne. Wajda se livre à une dénonciation du communisme.

Queue en Pologne - Années 70-80Prenons quelques exemples. L'une des premières séquences du film se situe dans la rue, au petit matin. Le peuple parisien fait la queue devant les boutiques. On retrouve une situation similaire en Pologne à la même époque. Des hommes échangent des propos politiques sur la situation économique et se taisent lorsqu'un membre d'un comité révolutionnaire de section apparaît. La population est donc surveillée, et tout propos antigouvernemental est interdit. Cette situation renvoie à la réalité de la pratique du pouvoir polonais des années 80 et à l'existence d'une police politique chargée de surveiller le peuple et de mener les arrestations si nécessaire. La liberté de parole n'existe pas.
     Autre exemple, la séquence dans l'atelier de David au Louvre. Robespierre vient poser pour un tableau sur l'Etre Suprême. C'est lui qui donne les instructions pour le tableau, à l'image d'un dictateur, se montrant ainsi soucieux du rôle de l'art dans la propagande. Il y a ici une double erreur historique : jamais Robespierre ne s'est fait peindre sous les traits de l'Etre Suprême ; de plus, il ne sera pas question de l'Etre Suprême avant le rapport de Robespierre à la Convention sur les fêtes révolutionnaires le 18 floréal an II (7 mai 1794), c'est-à-dire un mois après l'exécution des Indulgents. C'est donc là encore une référence au pouvoir communiste et à l'utilisation qu'il fait de l'art qui est dénoncé par Wajda. A la fin de la séquence, Robespierre fait remarquer à David que sur l'esquisse du tableau du Serment du Jeu de Paume Fabre (d'Eglantine) est représenté. Or, il n'était pas présent ce jour-là. Il demande à David de le retirer, car il a trahi. Fabre d'Eglantine, l'auteur du calendrier révolutionnaire, fait partie des accusés du procès Danton pour corruption. Là encore, erreur historique : le tableau de David est resté inachevé et le peintre n'y travaille plus à ce moment là. De plus, jamais Robespierre n'a demandé à David une telle intervention. Cet épisode nous renvoie en fait à une autre réalité, celle de l'URSS stalinienne qui faisait disparaître des photos des personnages gênants, considérés comme des traîtres. Ainsi, Trotski fut peu à peu effacé de toutes les photos officielles.

     Andrzej WajdaLe film de Andrzej Wajda comporte ainsi un double discours. Il se veut une reconstitution historique d'un des plus célèbres procès politiques de la Révolution pour en montrer l'injustice, tout en dénonçant les purges qui ont frappé l'URSS et les pays de l'Est. Double discours, donc, sur la Révolution et sur le communisme, sur une France déchirée en ce temps de Terreur et sur une Pologne qui subit le pouvoir du général Jaruzelski et de Moscou. Un grand film, qu'il faut savoir décoder…

Gaëtan Chaubert (Enseignant en Histoire)

 

Pour en savoir plus :
 

La Pologne des années 80 :
- Le site Solidarnosc.free.fr propose un historique accompagné d'illustrations : http://solidarnosc.free.fr
- Le site du ministère polonais des Affaires Etrangères : www.msz.gov.pl/mszpromo/fr/5_1_6.htm#4

 

Danton et Robespierre
- Biographies de Danton sur le site histoire-en-ligne.com ou sur le site de l'Académie de Strasbourg
- Biographie de Robespierre sur le site histoire-en-ligne.com, également sur le site de l'Académie de Strasbourg

De belles illustrations avec cette collection de timbres sur la Révolution française :
- Danton : http://perso.club-internet.fr/gudoyen/revolution/Danton.htm
- Robespierre : http://perso.club-internet.fr/gudoyen/revolution/Robespierre.htm