Le Canada
Si
l’on veut parler de la relation existant au Canada
entre le politique et le religieux, il ne faut pas hésiter
à utiliser le terme laïcité. Concrètement,
cela se caractérise par, comme aux Etats-Unis
et comme le relève Micheline Milot dans son article
« séparation, neutralité et
accommodements en Amérique du Nord »
in Jean Baubérot (dir), La laïcité
à l’épreuve, Religions et libertés
dans le monde, Paris, Universalis, sept. 2004,
coll Le tour du sujet, deux choses. D’une part
l’autonomie de l’Etat par rapport aux pouvoirs
religieux existe, même si n’existe aucun
fait d’émancipation historique du politique
par rapport au religieux ou de donnée constitutionnelle
laissant penser que le Canada est sous un régime
de séparation. Tacitement, le Canada repose sur
le principe de laïcité. D’autre part
la pluralité religieuse est réellement
présente dans cette société peuplée
d’immigrants d’origines très diversifiées.
Bref historique
Deux églises principales coexistent dès
l’origine au Canada, à savoir l’église
anglicane et l’église catholique romaine.
En effet, lorsque en 1759, s’opère la conquête
britannique, elle intervient dans un pays majoritairement
catholique et donc par souci pragmatique, la puissance
coloniale n’imposera pas un statut de religion
d’Etat à l’Eglise anglicane La conquête
britannique (milieu du 18 ème siècle)
de ce qui était jusque là la Nouvelle
France entraîne en effet la coexistence de deux
religions différentes dès l’origine
au Canada. La seule solution envisageable est donc d’organiser
la liberté religieuse dans ce Canada de la fin
du 18 ème siècle puisque les catholiques
sont historiquement implantés et nombreux. De
là, une pratique tolérante se développe
(liberté de croyance et d’exercice du culte,
neutralité de l’Etat).
Plusieurs dates se succèdent qui organisent
la liberté religieuse. 1763 marque l’octroi
de la liberté de religion aux catholiques, 1774
réaffirme cette liberté, tout en supprimant
le serment du Test qui obligeait les catholiques pour
accéder aux fonctions publiques à abjurer
de la fidélité au pape. Le principe de
l’Eglise établie n’a jamais trouvé
à s’appliquer réellement au Canada
et ce en raison de l’éloignement de la
maison mère, à savoir l’Angleterre,
et par ailleurs, la religion établie en Angleterre
(la religion anglicane) n’a jamais été
au Canada une religion combative à ce sujet.
1867 correspond à la loi constitutionnelle de
la fédération Canadienne : aucune
ligne de cette constitution ne précise quels
sont les rapports Eglises-Etat. Le financement public
du religieux et de ses bâtiments n’est pas
précisé et ne semble donc pas relever
de l’Etat. Mais en même temps, aucune trace
dans cette loi constitutionnelle de la liberté
religieuse.
Comme le relève Micheline Milot dans son article
précédemment cité, c’est
paradoxalement qu’en 1982 la nouvelle constitution
Canadienne fait référence à Dieu,
précisant dans son préambule que « le
Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent
la suprématie de Dieu et la règle du droit ».
Madame Milot rappelle alors le jugement O’Sullivan
C. MRN (1992) de la Cour fédérale qui
estime que ce « principe empêche
le Canada de devenir un Etat athée mais ne l’empêche
pas d’être un Etat laïque »
La laïcité canadienne aujourd’hui
La laïcité est donc le principe général
au Canada , même si la laïcité ne
connaît pas d’existence légale. L’Etat
est ainsi quasiment indifférent aux religions.
En revanche, la liberté de conscience et de religion
revêt une importance fondamentale et sont protégés
par la Charte canadienne des droits et libertés
(http://lois.justice.gc.ca/fr/charte/
). Cette liberté de conscience et de religion
est la première des libertés fondamentales
protégées par cette charte.
Prenons un cas concret : le voile. Une jeune fille
qui désire porter le voile à l'école
publique peut arguer de son droit à la liberté
de religion, et de l'interdiction d'une discrimination
fondée sur les croyances religieuses. Et toute
distinction de prime abord discriminatoire emporte une
obligation d' « accommodement »
pour l’institution, sauf s'il y a « contrainte
excessive ». En dehors de cas particuliers,
il apparaît difficile de voir en quoi le port
de symboles religieux constitue une contrainte excessive
pour une institution d'enseignement. Comme il a été
écrit à de nombreuses reprises dans la
jurisprudence, « l’Etat est neutre,
les institutions publiques sont laïques mais les
individus ne le sont pas ».
L’ « accommodement raisonnable »
revêt ainsi au Canada une importance fondamentale.
Il oblige les institutions publiques et les entreprises
privés à adapter voire à modifier
des normes générales pour répondre
aux besoins particuliers des minorités religieuses.
Il s’agit donc de reconnaître les particularismes
tout en préservant les normes communes, comme
le relève Micheline Milot. Et celle insiste bien
sur le fait que ces droits accordés aux individus
pour satisfaire leur liberté religieuse sont
des « droits exigences ». Elle
reprend ici les termes de Monsieur Mourgeon (Mourgeon,
Les Droits de l’homme, PUF, coll Que
sais-je ?). Peut-on penser que ce qu’elle
qualifie de « droits exigences »
correspond à nos « droits créances »,
autrement dit nos droits qui impliquent une obligation
d’agir de l’Etat, avec souvent un engagement
important de fonds publics, à opposer à
nos « droits libertés »
qui imposent un « laisser-faire » de
la part de l’Etat ? Sans aucun doute puisqu’elle
précise par la suite que l’Etat canadien
doit « veiller activement à ce qu’aucune
mesure discriminatoire ne s’exerce à l’encontre
des individus ».
Pour appliquer cet accommodement, on pourrait penser
que l’Etat canadien a prédéfini
ce qu’est une religion. Or, ce n’est pas
le cas. L’Etat ne se reconnaît pas compétent
pour déterminer ce qu’est un dogme reconnu
et acceptable. L’Etat va se baser, pour satisfaire
les obligations de l’accommodement sur, comme
le précise Micheline Milot, « le caractère
raisonnable de la demande, le coût excessif qu’elle
peut entraîner, les seules limites réelles
étant l’ordre public et les droits d’autrui ».
Il existe par ailleurs des privilèges constitutionnels
(constitution de 1863 et 1982) accordés aux religions
catholique et anglicane en Ontario et au Canada dans
le domaine scolaire. Mais sous la seule réserve
du respect de l’ordre public et des droits d’autrui,
la liberté religieuse est complète et
c’est le juge qui est seul gardien de la neutralité
de l’Etat.
L’accommodement canadien semble être enfin
un facteur positive d’intégration sociale
des individus qui relèvent de minorités
religieuses. Ils peuvent en effet, comme le relève
Micheline Milot, « exprimer leur identité
confessionnelle sans devoir restreindre sa manifestation
dans l’espace privé ou communautaire ». |