Médias, monde arabe, guerre
du Golfe
Pourquoi ce sujet ?
Ces trois dernières années(1)
ont vu se succéder en quelques mois une série
de bouleversements internationaux comme le monde n'en n'avait
plus connus depuis le début du siècle (Première
Guerre Mondiale, effondrement des grands empires, Révolution
soviétique, etc.). Cette mutation s'est faite à
un rythme si rapide (elle est encore en cours) et a transformé
tant d'aires géographiques en même temps, le
tout en entrecroisant toutes les variables historiques, sociologiques,
économiques et culturelles, qu'aucun des observateurs
qualifiés habituels ne put vraiment rendre compte de
cette nouvelle réalité (par le manque de pertinence
de leurs outils d'observation et de leurs repères d'analyse
classiques). La porte était alors ouverte à
la "prise de pouvoir explicatif" par les médias,
forts de leur influence. Ils avaient pour eux la variable
temps (instantanéité, rapidité), la variable
espace (multiprésence, ubiquité), la capacité
de mobiliser les spécialistes de chaque domaine (Histoire,
géopolitique, stratégie militaire, économie,
psychologie, ...), et surtout la puissance de diffusion au
plus grand nombre. De tous les médias, la télévision,
de par sa nature, en fut la principale bénéficiaire.
C'est pourquoi nous avons fait le choix d'analyser l'information
sur la guerre du Golfe à la télévision
, dans le cadre d'une étude du monde arabe, et de sa
perception en Occident, et particulièrement en France.
Car cette guerre a été un exemple pertinent
de l'influence des médias audiovisuels sur les citoyens-téléspectateurs,
comme elle demeure aujourd'hui encore l'illustration des risques
encourus à ne privilégier qu'à un seul
médium le soin d'informer un pays tout entier.
Tous les éléments réunis durant la crise
du Golfe paraissaient semblables à ceux des pays de
l'Est : remise en cause du tracé des frontières
issus de la Première Guerre Mondiale (Machrek) et de
la Seconde Guerre Mondiale (Israël-Palestine), remise
en cause des alliances nées durant la Guerre Froide,
crainte du surarmement de petits états jadis contrôlés
par l'Union Soviétique (armes nucléaires, chimiques,
bactériologiques). A cela devait s'ajouter un élément
primordial à la survie des grandes puissances économiques
occidentales : la protection des réserves pétrolières
de la région du Golfe.
La crise du Golfe devait bien vite revêtir un aspect
original et quasiment inconnu de la plupart des occidentaux,
puisque ce fut la première crise de dimension internationale
depuis la fin de la Guerre Froide. Cet aspect des choses n'échappa
pas aux médias, qui y voyaient la continuation des
changements opérés à l'Est de l'Europe.
Car, pour la première fois, la crise prit réellement
-et en toute légalité- un aspect international,
puisque l'Irak était condamnée par l'ensemble
des membres du Conseil de Sécurité de l'ONU,
sans le veto de l'URSS ou de la Chine.
Il ne manquait aux médias qu'un seul élément
pour se focaliser sur la Crise : l'aspect militaire de la
Crise. L'occasion leur fut donnée d'envoyer des journalistes
en très grand nombre dans les pays arabes, dès
l'envoi par les américains de troupes en Arabie Saoudite
en vue de protéger l'émirat d'une potentielle
invasion de l'Irak. Or, depuis la guerre du Vietnam, jamais
les États-Unis n'étaient intervenus militairement
hors de leur continent. Et ce fut l'occasion de sortir leurs
arsenaux d'armes technologiques nouvelles et secrètes,
jusqu'alors réservées à une guerre contre
l'Union Soviétique.
Il n'en fallait pas plus pour attirer les médias en
Arabie Saoudite et dans l'ensemble des pays arabes. La conjonction
de tous les faits sus décrits fut un moteur suffisant
au lancement de la machine informationnelle à l'assaut
du Monde Arabe. Dans l'attente d'une guerre, les médias
du monde entier se mobilisèrent dès le mois
d'août 1990. La crise diplomatique et politique durant
laquelle l'ONU et différents pays tentèrent
de convaincre Saddam Hussein d'évacuer ses troupes
du Koweït afin d'éviter un conflit armé,
fut médiatisée comme nulle autre crise diplomatique
ne l'avait été. La technologie impressionnante
à laquelle ont accédé les médias
audiovisuels durant ces vingt dernières années
allait fonctionner en parallèle avec l'armada spectaculaire
déployée par les États-Unis dans le Golfe.
Notre étude a donc pour but d'analyser la perception
du Monde Arabe qu'ont eue les acteurs des médias durant
cette période mouvementée. Car la crise et la
guerre du Golfe (situations extrêmes) ont été
"l'occasion" de réunir tous les éléments
pour permettre l'analyse du comportement (euphorie) et du
vocabulaire (stéréotypes et idées préconçues)
utilisé par les journalistes. Cette étude est
à la fois chronologique (contexte et déroulement
de la crise à la télévision , images
de la guerre du Golfe, analyse et tentatives d'explication
du comportement des médias audiovisuels durant la crise
et la guerre du Golfe), et thématique : analyse du
traitement de l'information sur le monde arabe et ses spécificités
par les journalistes, durant la crise et la guerre ( "masses
arabes", islamisme, terrorisme, Saddam Hussein, géostratégie
et géopolitique du monde arabe et du conflit israélo-palestinien
- le "lien" entre tous les problèmes de la
région, proposé par Saddam Hussein ). Cependant,
cette analyse ne se limite pas seulement au seul domaine du
monde arabe à travers la télévision,
mais aussi au traitement médiatique de la guerre du
Golfe par les journalistes et rédactions des télévisions
françaises : occultation de certains faits, non-suivi
et suivi de l'information, information en direct ("l'Histoire
en train de se faire"), censure militaire et autocensure,
manipulations réciproques, désinformations,
et propagande à la télévision font aussi
partie de ce travail d'analyse.
Pourquoi une étude de cet
évènement à travers la télévision
?
Cela résulte du rôle exorbitant joué par
la télévision au quotidien. Elle constitue le
plus important moyen de communication en France, et donc la
source première d'information de la majorité
des français :
"Selon les derniers sondages, la télévision
est non seulement la principale source de connaissance
et d'information des français , mais ceux-ci ont
davantage confiance dans ce média que dans les
journaux : en octobre 1990 , 52% accordent crédit
aux informations de la télévision , 53%
à celles de la radio et seulement 44% à
celles de la presse écrite. Enquête commanditée
par le Ministère de la Culture (avril 1990) : 91%
des français (soit 20,5 millions de ménages)
possèdent la télévision. 89% en 1981,
63% en 1973, 1% en 1954. La télévision vient
au troisième rang de nos activités après
le travail et le sommeil , mais avant la lecture. Nous
regardons la télévision entre 20 et 25 heures
par semaine , soit une moyenne de trois heures par jour.
Les enfants, eux, passent 900 heures par an en classe
et 1200 heures devant le petit écran.
D'où l'importance de cette révolution de
l'information par l'image, pour l'avenir intellectuel
de ce pays.(...)"(2)
L'information dispensée à la télévision
joue un rôle pédagogique essentiel à l'approche
et à la connaissance et à du monde par la majorité
de la population française.
Ce travail est le résultat de la conjonction d'un
intérêt croissant pour la monde arabo-musulman
et d'une passion : celle de l'image. A l'origine de cette
dernière, il y eut avant tout la volonté de
mieux comprendre les mécanismes (psychologiques et
sociologiques) qui poussèrent des hommes à en
manipuler d'autres, notamment au sein de régimes tels
l'Allemagne nazie ou l'Union Soviétique durant la période
stalinienne. Cette attirance se renforça lors de la
diffusion à la télévision (FR3) en juin
1989 de l'émission PROPAGANDA , dans laquelle il était
suggéré que les régimes totalitaires
n'étaient pas les seuls à manipuler et désinformer
leurs citoyens (Guerre d'Algérie en France, Guerre
Froide et du Vietnam aux États-Unis). La conjonction
de ces deux centres d'intérêt put être
effectuée avec le déclenchement en 1990 de la
crise, puis de la guerre du Golfe.
Le but de cette étude n'est pas de fabriquer un bêtisier
de l'information, mais de montrer à quel point la télévision
fut un vecteur de résurgence et de transmission de
stéréotypes et d'idées préconçues.
Cependant, tromperies et rumeurs diffusées comme des
informations, et citées tout au long de ce travail,
pourront parfois donner l'impression qu'il s'agît bien
d'un répertoire des erreurs de journalistes de la télévision.
Nous avons en réalité tenté de retranscrire
le plus fidèlement possible les informations telles
qu'elles furent données à des millions de téléspectateurs
français durant la guerre du Golfe.
Afin d'aborder ce sujet avec un maximum d'objectivité
et d'exhaustivité, il était prévu de
travailler avec l'accord et l'aide des rédactions des
chaînes de télévision françaises,
en particulier TF1 (chaîne privée) et FR3, (chaîne
publique). Or, les rédacteurs en chef des journaux
du soir de ces deux chaînes refusèrent d'apporter
leur aide à l'accomplissement de ce travail. Il refusèrent
aussi de nous laisser accéder aux sources écrites
(conducteurs des journaux télévisés)
et filmées qui auraient pu être utiles à
une analyse véritablement scientifique et rigoureuse
de l'influence de la télévision sur la compréhension
par le grand public de la Crise et la guerre du Golfe.
Les principales sources utilisées sont donc essentiellement
des sources écrites, des ouvrages publiés après
le conflit, ainsi que de nombreux articles de journaux. Les
autres sources sont constituées d'enregistrements privés
des journaux télévisés du soir, sur la
chaîne publique Antenne 2, enregistrements effectués
durant la guerre du Golfe.
|