Comprendre> Terrorisme : histoire, formes et
médiatisation (Dossier Déc. 2004)
Le terrorisme : contributions d'auteurs
et en partenariat avec
Définitions,
questions et réponses sur les formes de
terrorisme,
par Arnaud BLIN, Spécialiste de géopolitique
et de politique américaine.
Ancien directeur du Centre Beaumarchais (Washington),
ancien chercheur à l'Institut diplomatie
et Défense (Paris),
actuellement chercheur à l'Ecole de la
paix(Grenoble).
co-auteur de L'histoire du terrorisme de l'antiquité
à Al-Qaïda (éd. Michalon)
Le Terrorisme est-il
un phénomène nouveau ?
On a tendance parfois à penser que le
terrorisme est un phénomène nouveau
: ne lit-on pas aujourd’hui qu’il
constitue la plus grande menace du 21e siècle
? Bien entendu, cette idée pourtant répandue
est fausse. L’usage de la terreur, par les
régimes en place ou par des groupes cherchant
à s’emparer du pouvoir ou à
déstabiliser un adversaire est presque
aussi vieille que les luttes de pouvoir. Parmi
les exemples les plus anciens, citons celui des
icarii (ou Zélotes) au 1er siècle
qui utilisent la technique du terrorisme pour
tenter de repousser l’envahisseur romain.
Plus célèbre, le cas de
la secte des Assassins (ou Hashsahins) au Moyen
Age, démontre le potentiel de
longévité d’un groupe terroriste
qui, pourtant, n’a jamais réussi
à s'octroyer le pouvoir politique recherché
malgré plusieurs attentats retentissants.
Le terrorisme moderne, né au 19e
siècle, s’est manifesté
sous une multiplicité de formes, avec plusieurs
vagues d’attentats au moins aussi sérieuses
que celle que nous connaissons aujourd’hui,
et qu’illustre la liste impressionnante
des chefs d’États et têtes
couronnées victimes d’attentats terroristes
au tournant du 19e-20e siècle. Rappelons
que c’est par un attentat terroriste, celui
de Sarajevo en 1914, que s’est embrasée
l’Europe. Il suffit de lire l’Agent
secret de Joseph Conrad pour s’apercevoir
à quel point le terrorisme d’il y
a cent ans fonctionne selon les mêmes mécanismes
que le terrorisme contemporain.
Existe-t-il une définition
du terrorisme ?
Dans la mesure où le terrorisme est un
phénomène à la fois complexe
et multiforme, il est extrêmement compliqué
de trouver une définition simple qui décrive
bien la problématique. A en croire certains
spécialistes, on aurait répertorié
plus d’une centaine de définitions.
L’ONU est à l’heure actuelle
incapable de s’accorder à une définition.
Le groupe de « sages » qui s’est
réuni récemment sous l’égide
des Nations Unies (Novembre 2004) a opté
pour une définition mettant l’accent
sur les civils comme cible privilégiée
de groupes ayant pour but de « d’intimider
une population, ou d’obliger un gouvernement
ou une organisation internationale à agir,
ou à ne pas agir. » La
dichotomie civils/militaire est importante mais
elle n’est pas à mon avis fondamentale.
J’aurais plutôt tendance à
insister, comme Raymond Aron et d’autres,
sur l’aspect psychologique de la technique
terroriste. Car ce qui caractérise
le phénomène terroriste est avant
tout l’asymétrie presque totale entre
les effets psychologiques recherchés et
les moyens physiques employés.
Le fait que les civils soient aujourd’hui
les cibles presque exclusives des terroristes
n’est que l’effet de cette asymétrie.
Les terroristes ne pouvant s’attaquer aux
forces armées, faute de moyens (sauf dans
le cadre particulier d’une insurrection
comprenant la guérilla), ils sont obligés
de s’attaquer à d’autres cibles,
y compris, logiquement, les civils. Par ailleurs,
le but des terroristes étant généralement
de déstabiliser un pouvoir politique, ils
jouent avec une opinion publique particulièrement
sensible aux problèmes d’insécurité.
Ajoutons aussi que dans le cadre de l’évolution
de la démocratie qu’a connu le monde
au cours des deux derniers siècles, le
citoyen est une figure aussi représentative
de l’État que ne l’est le gouvernant,
et plus vulnérable aussi, ce qui explique
pourquoi les gouvernants ont laissé place
aux civils anonymes comme cible privilégiée
des terroristes. Pour résumer, je proposerai
moi-même cette définition (imparfaite
comme toutes les autres) : un acte terroriste
est un acte politique dont le but est de déstabiliser
un gouvernement ou un appareil politique, où
les effets psychologiques recherchés sont
inversement proportionnels aux moyens physiques
employés et dont la cible principale, mais
non exclusive, est la population civile.
Existe-t-il une différence
fondamentale entre le terrorisme « politique »
et le terrorisme « religieux »
?
Depuis 1979 et la révolution iranienne
est apparu le phénomène du terrorisme
islamiste qui a supplanté le terrorisme
d’inspiration marxiste-léniniste
des années 1960 –1970. Dans l’histoire,
si l’on exclut le cas de la secte des Assassins,
le terrorisme est principalement un terrorisme
« non-religieux » ou si
l’on préfère, laïc. Il
apparaît que les terrorismes ont une chose
en commun dans l’histoire : le projet politique,
réaliste ou pas, qui anime pratiquement
tous les groupes employant la technique terroriste,
y compris les anarchistes. Seule exception
à la règle, peut-être, les
nihilistes russes de la fin du 19e siècle,
immortalisés par Dostoïevski dans
Les Possédés, à
travers la figure de Sergeï Netchaïev,
mais dont l’impact fut quasiment nul, et
qu’on a tendance à confondre avec
les populistes et anarchistes russes de la même
époque, qui eux commirent beaucoup d’attentats.
Or, dans pratiquement tous les cas de
figure, se greffe à ce projet politique
une idéologie qui peut prendre plusieurs
formes : marxiste, anarchiste, fasciste, nationaliste,
et fondamentaliste religieuse. Le terrorisme
islamisme appartient à cette dernière
catégorie, comme d’autres formes
de terrorisme fondamentaliste. La dimension religieuse
du terrorisme, s’il elle est importante
n’est pas, à mon sens essentielle.
Elle est importante car la religion offre une
base plus large que l’idéologie séculaire
ainsi qu’une plus grande source de légitimité.
En ce sens, le terrorisme d’inspiration
religieuse se rapproche plutôt du terrorisme
d’inspiration nationaliste : forte identification
à un groupe ; désir profond
de changer le statu quo politique ; souvent
aussi, de revenir à un âge d’or
passé (communauté des croyants,
État indépendant) plutôt que
d’accéder – plus rapidement
- à une nouvelle étape de l’histoire.
Pourquoi le terroriste
de l’un est-il le combattant (de la liberté,
de Dieu, etc…) de l’autre ?
Aucun groupe ou individu ne s’affiche comme
étant « terroriste ».
Le terrorisme étant avant tout une technique,
le « terroriste » est tout
simplement celui qui emploie cette technique à
des fins diverses qui peuvent paraître légitimes
pour les uns, immorales et abominables pour les
autres. Le terrorisme se situant dans la sphère
de la guerre psychologique, c’est donc sur
ce théâtre que se joue la partie,
où les renvois d’images comptent
pour une bonne part de la réussite. Le
« terroriste » cherche généralement
à affaiblir l’État qu’il
combat en projetant une image négative
de son adversaire (faible, illégitime,
corrompu, etc…). L’État tente
de son côté de renvoyer une image
négative de son adversaire afin d’éviter
qu’il ne génère un soutien
populaire : le « terroriste »
est immoral, irrationnel, barbare, stupide, fanatique,
etc…. Or, dans les esprits, le terme « terroriste »
est le symbole de cette image négative,
que les Etats engagés dans la lutte terroriste
ne vont cesser d’amplifier, souvent à
l’aide des médias, ces derniers faisant
partie intégrale de ce jeux à trois.
Rappelons qu’au moment même où
Lénine lançait les premières
campagnes de terreur de l’URSS – Staline
ne fit que suivre le chemin tracé par son
illustre prédécesseur -, il s’en
prenait d’abord à ceux qu’il
qualifiait de « terroristes »
(anarchistes, etc.. ) .
Nous touchons ici à la dimension morale
du terrorisme (que capte remarquablement la pièce
d’Albert Camus, Les Justes, basée
sur un incident réel). Si l’on s’en
tient à une éthique de type kantien,
l’emploi du terrorisme est par définition
immorale, et rien ne peut la justifier. En revanche,
une éthique fondée sur les conséquences
de l’acte offre un champ beaucoup plus ouvert
: ainsi le terrorisme pratiqué dans le
contexte des luttes anti-coloniales apparaît-il
aujourd’hui, pour certains du moins, comme
foncièrement moral, ou tout au moins comme
non immoral. Dans le cadre d’un conflit
asymétrique du faible au fort, l’emploi
de la terreur peut éventuellement se justifier.
Néanmoins, la présence de vastes
zones grises fait qu’il est parfois très
compliqué de donner la mesure exacte de
l’acte. Pour exemple : est-il légitime
que le Hamas ait recours au terrorisme ?
Ou encore, Israël est-il un État terroriste
? De toutes manières, il est évident
que la plupart des terroristes se perçoivent
comme des justes agissant pour une cause supérieure
où la fin justifie les moyens. S’il
est difficile de trancher sur le vif, il semble
toutefois que l’Histoire parvienne à
faire la part des choses, tout au moins à
légitimer certains actes terroristes (cas
de l’Irlande autour des années 1920
; de l’Inde, du Kenya, de l’Algérie
et d’autres durant la décolonisation).
Enfin, le terme « terroriste »,
aussi imparfait soit-il, est plus facile à
utiliser que, par exemple, « groupe
utilisant l’arme du terrorisme »,
ce qui explique aussi pourquoi ce terme ambigu
est employé dans le langage courant, y
compris par l’auteur de ces lignes.
Le terrorisme de destruction
massive présente-t-il un réel danger
aujourd’hui ?
La fin de
la guerre froide a vu disparaître la menace
d’un cataclysme nucléaire qui pesait
sur le monde tel l’épée de
Damoclès. A cette menace se sont substitués
deux dangers susceptibles de bousculer le monde
relativement sûr des grandes zones industrialisées
: la prolifération nucléaire (et
des armes de destruction massive) et le terrorisme.
Il était logique que ces deux menaces fassent
l’objet d’un regroupement représentant
la menace ultime contre la paix dans le monde
: le terrorisme de destruction massive. Pour des
raisons principalement politiques, provoquées
en partie par les attentats du 11 septembre 2001
et par l’arrivée au pouvoir la même
année des « néo-conservateurs
», cette menace constitue désormais
le cheval de bataille de l’administration
Bush, dont l’écho a été
véhiculé dans le monde par divers
modes de communication, y compris le cinéma
et la littérature. Qu’en est-il de
ce danger? Que des groupes terroristes utilisent
des ADM [Armes de Destruction Massive], cela ne
fait aucun doute puisque ce scénario s’est
déjà produit au Japon il y a une
dizaine d’années. Pour autant, plus
une arme a un potentiel destructeur plus elle
est difficile à acheter, à obtenir,
et surtout à manipuler. Or, les groupes
terroristes, à moins qu’ils ne soient
appuyés par des États, n’ont
pas les ressources ou les moyens nécessaires
pour se lancer dans des aventures extrêmement
périlleuses susceptibles de compliquer
une existence déjà fort compliquée.
Surtout, les moyens classiques sont amplement
suffisants pour les objectifs que les terroristes
cherchent à atteindre ; On voit d’ailleurs
avec le cas du 11 septembre que des ADM ne sont
pas indispensables pour provoquer des destructions
massives. Mais comme le terrorisme est un jeu
d’échecs psychologique, le simple
fait qu’un groupe clandestin parvienne à
faire croire qu’il possède des ADM
représente une victoire politique, ne serait-ce
que parce que les États engagés
dans la lutte anti-terroriste dépensent
une grande partie de leurs ressources dans la
prévention d’une attaque d’ADM.
Dans le même ordre d’idées,
plus un pays est préparé à
faire face à une telle attaque, et moins
un attentat terroriste aux ADM aurait d’impact
sur la psyché collective. En somme, le
terrorisme de destruction massive est à
la fois une réalité toute proche
mais qui risque de rester dans le domaine du virtuel
pendant encore un moment. Notons que dans l’histoire
du terrorisme, les techniques ont très
peu évolué depuis l’invention
de la dynamite en 1867, pour la bonne raison que
la force du terrorisme n’est pas de frapper
fort mais en un point sensible où cela
fait le plus mal – et en général
où on s’y attend le moins –
donc où il n’est pas nécessaire
de posséder l’arme la plus sophistiquée.
Gageons que l’imagination des terroristes
se traduira plutôt par des choix de cibles
nouveaux et surprenants plutôt que par le
désir d’acquérir des armes
de destruction massive.
Table des matières
Patrice SAWICKI, terrorismes, guerres et médias
>>>
Arnaud BLIN, définitions, questions et
réponses sur les formes de terrorisme >>>