Comprendre> Les fondements de la politique
étrangère américaine (Dossier Sept. 2004)
Les héritages fondamentaux
: la Destinée Manifeste et la mission des
Etats-Unis
Aux fondements de la politique étrangère
américaine se trouve le concept de « destinée
manifeste », qui
contient un fort héritage religieux. Il faut
se souvenir que la fondation des Etats-Unis est remonte
à un groupe de « pères pèlerins
» protestants qui quittèrent la «
vieille Europe » pour mettre en place un
mode de gouvernement « idéal, pur
et parfait » sur les territoires du nouveau
monde, considéré comme « la Terre
promise » (vers 1620). Dès le départ,
le souci de créer un état nouveau poussa
les fondateurs des États-Unis à limiter
les contacts avec les états européens
considérés comme décadents. Ainsi,
George Washington l’exprima dans son "Testament"
(discours d'adieu) en 1796 : c'est la doctrine du « non-entanglement »
(non-engagement), qui fut reprise par Jefferson (Président
de 1801 à 1809) puis par Monroe, qui s'inspira
de ce discours pour sa fameuse doctrine. La doctrine
du « non-entanglement » demeure
une référence pour les tenants de l’isolationnisme
américain :
«
Notre Grande règle de conduite envers les nations
étrangères est d'étendre nos relations
commerciales afin de n'avoir avec elles qu'aussi peu de
liens politiques qu'il est possible. Autant que nous avons
déjà formé des engagements remplissons-les,
avec une parfaite bonne foi. Et tenons-nous en là.
L'Europe a un ensemble d'intérêts primordiaux,
qui avec nous n'ont aucun rapport, ou alors très
lointain. Par conséquent elle est engagée
dans de fréquentes polémiques, dont les
causes sont essentiellement étrangères à
nos soucis. Par conséquent donc il est imprudent
pour nous de s'impliquer, à cause de liens artificiels,
dans les vicissitudes ordinaires de sa politique, ou les
combinaisons et les conflits ordinaires de ses amitiés
ou de ses inimitiés.
[…] Pourquoi renoncer aux avantages d'une situation
si particulière ? Pourquoi quitter notre propre
sol pour se tenir sur une terre étrangère
? Pourquoi, en entrelaçant notre destin avec celui
d'une quelconque part de l'Europe, empêtrer notre
paix et notre prospérité dans les labeurs
des ambitions, rivalités, intérêts,
humeurs ou caprices européens ?
C'est notre politique véritable d'avancer exempt
d'Alliances permanentes avec n'importe quelle partie du
Monde étranger - Aussi loin, veux-je dire, que
nous sommes maintenant capables de le faire - ne me croyez
pas capable de recommander d'être infidèle
aux engagements existants, (je soutiens la maxime non
moins applicable aux affaires publiques que privées,
que l'honnêteté est toujours la meilleur
politique) - Je le répète donc, continuez
à appliquer ces engagements dans leur sens véritable.
Mais à mon avis, il est inutile et serait imprudent
de les étendre. »
(Extrait du "Testament", ou discours d’adieu
de George Washington, le 19 septembre 1796)
«
J’ai toujours considéré comme
fondamental pour les Etats-Unis de ne jamais prendre part
aux querelles européennes. Leurs intérêts
politiques sont entièrement différents des
nôtres. Leurs jalousies mutuelles, leur équilibre
des puissances (forces), leurs alliances compliquées,
leurs principes et formes de gouvernement, ils nous sont
tous étrangers. Ce sont des nations condamnées
à la guerre éternelle. Toutes leurs énergies
sont dévolues à la destruction du travail,
de la propriété et des vies de leurs peuples.
»
(Thomas Jefferson à James Monroe, 1823)
« Rien n’est
plus important que l’Amérique reste séparée
des systèmes européens, et en établisse
un original. Notre situation, nos objectifs, nos intérêts
sont différents. Il doit en être de même
pour les principes de notre politique. Tout engagement
avec ce région du monde doit être évitée
si nous voulons que la paix et la justice soient les (objectifs,
caractéristiques) de la société américaine.
»
(Thomas Jefferson à J. Correa de Serra, 1820)
Dans
la même lignée, en 1823, le Président Monroe
(1817-1825) formula sa doctrine de « l’Amérique
aux Américains » : Les Etats-Unis promettaient
de ne pas s'engager dans les affaires européennes,
alors qu'ils regardaient toute intervention des Etats
européens sur le continent américain comme une
agression.
(cette clause était
prévue pour protéger les états indépendants
d’Amérique Latine des visées coloniales
des états européens).
Jefferson comme Monroe se firent ainsi les fondateurs et défenseurs
de l’isolationnisme américain, véritable
courant de pensée défendu jusqu’à
aujourd’hui en matière de politique étrangère
américaine
Cette conception « d’exceptionnalisme »
américain, qui représenterait le gouvernement
le plus abouti et le plus parfait, justifiait l’idée
d’une « destinée manifeste » des
Etats-Unis, consistant à diffuser son système
de valeurs et de gouvernement à travers le monde, afin
de le faire progresser à son image.
L’idée d’une mission civilisatrice des
Etats-Unis, justifiée par leur modèle de développement
infaillible basé sur la démocratie libérale
et la foi chrétienne, se forma autour des années
1845, avec la création du concept de Destinées
Manifeste : l’auteur de la formule, le publiciste John
O’Sullivan, directeur de la Democratic Review, en formulait
ainsi les implications : « Notre Destinée
Manifeste [consiste] à nous étendre sur tout
le continent que nous a alloué la Providence pour le
libre développement de nos millions d’habitants
qui se multiplient chaque année »
(Cité p. 23 de Nouailhat Yves-Henri, Les Etats-Unis
et le monde, de 1898 à nos jours (Voir bibliographie))
Pour le géopoliticien Yves Lacoste, la « manifest
destiny », c’est : « [le] destin, [le]
rôle que Dieu aurait manifestement confié à
l’Amérique de développer les valeurs de
liberté, de justice et de progrès, de les étendre
le plus possible et de les défendre contre toute tyrannie
»
(Yves Lacoste, « Les Etats-Unis et le reste du monde
», in Hérodote, p.5).
Vers
1890, les frontières étasuniennes étant
fixées, les Etats-Unis étendirent au-delà
de celles-ci leur « mission civilisatrice ».
Pourtant, en tant qu’ancienne colonie britannique qui
avait combattu pour son indépendance, les Etats-Unis
ne pouvaient adopter la forme de colonialisme des états
européens. C’est pourquoi, à part quelques
cas (Philippines, 1898), le mode d’impérialisme
américain fut fondé sur l’exportation
de valeurs, aussi bien marchandes que culturelles, et ne provoqua
pas une perte de souveraineté des pays. Les Etats-Unis,
contrairement aux états européens pratiquèrent
un expansionnisme économique, commercial et culturel,
qui ne reposa pas sur la fondation de colonies (c’est
à dire la confiscation de la souveraineté d’un
Etat pour le contrôler). La mission des Etats-Unis devait
être de « civiliser » le monde, le rendre
à son image, pour faire littéralement le bonheur
des autres états malgré eux.
Ce principe de « destinée manifeste »
se conjugua de façon différente selon les deux
grandes orientations - réalistes ou idéalistes -
qui allèrent former le socle de la politique étrangère
américaine.