Comprendre> Les fondements de la politique
étrangère américaine (Dossier Sept. 2004)
Pratiques et évolution
de la politique étrangère : la Guerre
Froide (1947-1991)
Un contexte international contraignant : la Guerre Froide et ses doctrines
Le contexte international particulier que fut celui de
la « Guerre Froide » contraignit fortement la
politique étrangère américaine. En effet,
l’URSS et l’idéologie communiste représentaient
le pendant du modèle américain. A la fin de
la Seconde Guerre Mondiale, l’URSS émergea comme
seconde grande puissance après les Etats-Unis. Elle
profita des bouleversements de l’après-guerre
pour imposer son modèle en Europe orientale et en Asie.
L’animosité et l’affrontement étaient
inévitables entre les deux puissances qui jouèrent
de leurs moyens militaires et financiers pour faire avancer
leurs pions.
La théorie de politique étrangère qui
domina et déclencha la Guerre Froide était la
politique dite de « l’endiguement »,
ou « Containment ». Elle fut formulée
ainsi par George Kennan en 1947, dans un
article publié dans Foreign Affairs : « Le
principal élément de toute politique des Etats-Unis
vis-à-vis de l’URSS doit être un endiguement
des tendances expansives de la Russie, à long terme,
avec patience, mais fermeté et vigilance ».
Cette politique fut appliquée par le président
Truman (1945-1953) qui devait assurer la transition d’une
politique wilsonienne à une politique réaliste.
Le plan Marshall, prévoyant une aide économique
importante pour les pays exsangues d’Europe occidentale,
en fut l’outil le plus important : en effet, il permit
de conserver dans le giron des démocraties libérales
ces pays sans ressources suite à la guerre. Lorsque
les moyens financiers ne suffisaient pas à trancher,
les deux puissances s’affrontèrent militairement,
comme ce fut le cas durant la guerre de Corée de 1950-1953.
Dans ce contexte, les réalistes furent prépondérants
et développèrent des théories solides
sur lesquelles devait reposer l’action politique, comme
celle que formula Morgenthau en 1948 : une vision réaliste
doit impliquer que la stabilité internationale repose
sur l’équilibre des forces, toute tentation de
recourir à la violence devant être désamorcée
par la menace crédible d’une contre-violence.
La diplomatie mise en œuvre fut donc celle de la dissuasion.
Les démocrates wilsoniens
dans la guerre froide
Rapidement, l’acquisition par l’URSS de l’arme
atomique rendit improbable un affrontement frontal, car un
tel conflit aurait mené à une destruction mutuelle
des belligérants. C’est l’équilibre
de la terreur qui contraignit les présidents américains
à pratiquer une politique étrangère pragmatique
(def) :
-
John F. Kennedy (1961-1963), démocrate wilsonien,
créa les « Peace corps », corps de volontaires
pour le développement, la préservation de la
paix et la diffusion des valeurs américaines. Mais
confronté à la crise des fusées de Cuba
en 1962, il appliqua une « realpolitik » face
à l’URSS. De plus, face à l’avancée
du communisme au Vietnam, il y envoya les premières
troupes américaines. - Son successeur, Lyndon Johnson (1963-1969),
mena une politique libérale au plan intérieur
(abolition de la ségrégation raciale en 1964),
mais s’enfonça maladroitement au Vietnam en engageant
de plus en plus de troupes.
La guerre
de Vietnam initie une nouvelle ligne de partage des
politiques
: les « faucons », partisans du
prolongement de l’engagement américain, et les
« colombes » qui souhaitent la paix.
La rupture néo-réaliste
du tandem Nixon-Kissinger (1969-1974)
« L'équilibre
des puissances et non la paix est l'objectif de tout homme
d'Etat qui doit être pragmatique et réaliste
et prêt au compromis en évitant des objectifs
idéologiques ».
Henry Kissinger, Diplomatie.
Lors de son arrivée au pouvoir en 1969, le républicain
Nixon appela l’expert en politique étrangère
Henry Kissinger au poste d’assistant pour les affaires
de sécurité nationale. Ce duo mena la politique
la plus réaliste (et la moins idéologique) de
l’histoire des Etats-Unis. Kissinger renouait avec le
réalisme traditionnel de Roosevelt en le modernisant,
Nixon partageant cette vision du monde : le duo poursuivit
certes la politique d’endiguement vis à vis de
l’URSS, mais il porta un regard froid sur cette lutte
en refusant de prendre en compte le facteur idéologique.
Nixon et Kissinger considérèrent la Guerre Froide
comme un affrontement entre deux grandes puissances dont les
intérêts étaient concurrents. La mise
en sourdine de la lutte idéologique permit à
Nixon de se retirer du Vietnam en 1973 et de fonder une alliance
stratégique avec l’autre grand pays communiste
qu’était la Chine. Ce revirement inattendu constitua
un véritable « coup de poker » du duo qui
se révéla être un grand succès
diplomatique, menant à la « détente »
(accords avec l’URSS sur la limitation des armes stratégiques,
SALT I en 1972 et SALT II en 1974).
Pourtant les Etats-Unis se fourvoyaient dans des alliances
avec des états autoritaires, participant au renversement
de Salvador Allende par le Général Pinochet
au Chili, en 1973. Après la démission de Nixon
suite au scandale du Watergate, Gerald Ford (1974-1977) reprit
le flambeau présidentiel en conservant Kissinger à
la tête de la politique étrangère du pays.
La continuation de la politique précédente aboutit
à la signature des accords d’Helsinki en 1975,
fondant la CSCE (Conférence sur la Sécurité
et la coopération en Europe, avec participation de
l’URSS et des USA).
Nixon et Kissinger, en pratiquant un réalisme poussé
qui n’avait pas été repris depuis Théodore
Roosevelt, bouleversèrent les données de la
politique étrangère américaine pour une
courte durée. En effet, dès 1977, le démocrate
Carter, renoua avec la tradition américaine mêlant
morale et politique.
Carter et le retour de la morale
(1977-1981)
En
1977, après les présidences républicaines
de Nixon et Ford, le démocrate Carter ré-instaura
la morale et le droit dans la politique américaine, par
la promotion et la défense des droits de l’homme
dans le monde. Ce nouveau cheval de bataille lui permit de continuer
à s’opposer à l’URSS sur ce point
tout en nouant des alliances plus morales et moins opportunistes.
Cela permit pour un temps de redonner une « virginité
idéologique » aux USA, qui s’étaient
compromis avec des régimes autoritaires durant les années
1970. Le meilleur exemple en est sans aucun doute le travail
que fit Jimmy Carter pour qu’israéliens et égyptiens
signent un accord de paix. La rencontre de Camp David entre
Anouar el-Sadate, président égyptien, et Menahem
Begin, premier ministre israélien en 1979, fut l’un
des faits marquants de la présidence de Carter. Cependant,
l’idée de la supériorité et de l’exception
américaines étaient toujours présents :
« Nous avons notre forme de gouvernement démocratique
que nous pensons être la meilleure. Dans tout ce que je
fais concernant la politique intérieure ou extérieure,
j’essaie de faire en sorte que les gens réalisent
que notre système fonctionne […] et que cela puisse
servir d’exemple à d’autres. »
(Carter, Discours du 2 mai 1977).
Souhaitant se rallier d’autres partenaires, les Etats-Unis
pratiquèrent une politique d’ouverture, de séduction
et de « coexistence pacifique » avec l’Union
Soviétique notamment. Pourtant, l’invasion de l’Afghanistan
par l’URSS en 1979 marqua la fin de cette politique et
le retour à la politique de Containment.
La synthèse reaganienne (1981-1989)
Selon plusieurs auteurs, le président Ronald Reagan
a incarné une synthèse presque parfaite des courants
réalistes et idéalistes de la politique étrangère
américaine.
-
D’un côté, il entraîna l’URSS
dans la « Guerre des étoiles »,
projet titanesque qui contribua en grande partie à
grever les finances déjà vacillantes de
l’Union Soviétique, il fit financer et armer
les opposants au communisme dans plusieurs pays (antisandinistes
du Nicaragua, combattants afghans et surtout islamistes
en Afghanistan…), et gagna l’opinion publique
à sa politique en la présentant en des termes
manichéens, désignant l’URSS comme
« l’Empire du mal », et s’attaquant
déjà à « la confédération
des Etats terroristes » , visant essentiellement
l’Iran et la Libye. (Discours sur l’état
de l’Union de 1985). - D’autre
part, Reagan se fit le fer de lance de la lutte pour la
diffusion de la démocratie dans le monde. S’appuyant
sur une théorie formulée par Jeanne Kirkpatrick
selon laquelle les dictatures de droite, contrairement
à celle de gauche (communisme) sont capables de
s’auto-réformer au point de se transformer
en démocraties libérales, il élargit
de façon conséquente les territoire d’application
de la démocratisation et justifiait l’importance
des moyens qu’il désirait consacrer à
cette cause : « Autour du monde aujourd’hui,
la révolution démocratique gagne en force
[…]. Nous devons être fermes dans notre conviction
que la liberté n’est pas uniquement la prérogative
de quelques privilégiés mais un droit inaliénable
et universel pour tous les êtres humains »
(Discours du 8 juin 1982).
Mêlant dans ses discours des idées de puissance
et de morale, Reagan réussit ainsi à construire
une véritable « morale stratégique »
américaine : combattre pour la démocratie dans
le monde devait permettre la préservation des intérêts
américains en tant que première démocratie.
Agissant selon des pratiques réalistes, il désirait
cependant renverser le statu-quo au profit des Etats-Unis, et
non plus maintenir l’équilibre, comme le fit Nixon.
Il utilisait la démocratie non seulement comme fin, mais
également comme moyen pour arriver à des fins
plus pragmatiques : la chute de l’URSS.
Vers la fin du multilatéralisme
?
Contrairement aux wilsoniens qui favorisaient le multilatéralisme,
Reagan n’eut aucun scrupule à agir seul, unilatéralement,
dédaignant des institutions internationales qui avaient
intégré depuis les années 1960-1970 de
nombreux pays du Tiers-Monde, peu favorables aux USA.
Ce dédain à l’égard des institutions
internationales allait s’amplifier durant les années
1990 et suivantes…