Revenons
à la réflexion de Kerry pour examiner
la politique de l’équipe Bush : « tout
simplement, l’administration Bush a poursuivi
la politique étrangère la plus inepte,
la plus arrogante et la plus idéologique dans
l’histoire moderne ». (Discours
au Council on Foreign Relations le 3 décembre
2003)
La politique étrangère de l’équipe
Bush est certainement l’une des plus «idéologiques»
de l’histoire
des Etats-Unis. Elles s’appuie sur un événement
fondateur (le 11 septembre) constitutif d’une
doctrine claire (la lutte contre toute forme de terrorisme
et de menaces), servie par des formules percutantes
et simples telle que « L’axe du mal ».
Cette doctrine est mise en œuvre à travers
une argumentation très wilsonienne, se référant
à la mission divine des Etats-Unis de rendre
le monde meilleur. Elle a en outre l’avantage
d’être assez polymorphe pour légitimer
toute intervention, même injustifiée, sous
la forme de « guerre préemptive »,
que l’équipe Bush a élevée
au rang de stratégie (comme l’invasion
de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein).
La référence à « l’arrogance
» de la politique étrangère de Bush
constitue vraisemblablement une critique de l’unilatéralisme
dont fait preuve l’équipe présidentielle.
En effet, John Kerry, démocrate dans la lignée
de Bill Clinton, condamne l’attitude de l’équipe
Bush qui, après un recours opportuniste au multilatéralisme
(formation d’une coalition internationale contre
le terrorisme), intervient en Irak contre l’avis
général de l' opinion internationale,
appliquant la formule : « multilatéraliste
si possible, unilatéraliste quand nécessaire
». L’équipe Bush a ainsi l’
« arrogance » de profiter pleinement du
statut de grande puissance des Etats-Unis, qui leur
permet de refuser l’implication dans les accords
internationaux et de faire cavalier seul (refus de faire ratifier et appliquer le Protocole de Kyoto
de 1997, refus de reconnaître
la Cour Internationale de Justice, …).
Ainsi, appliquant une idéologie forte, l’administration
Bush ne constitue pas réellement une rupture
dans la pratique de politique étrangère
américaine. Au regard de l’Histoire, les
Etats-Unis ont toujours associé de manière
traditionnelle la moralité à la puissance.
L’administration Bush marque seulement l’application
d’une nouvelle obédience idéologique,
« néo-conservatrice », qui allie
la moralité wilsonienne, aux moyens réalistes
de Roosevelt. « […] pour la première
fois, le wilsonisme serait réaliste puisqu’il
ne s’affirmerait plus par l’intermédiaire
d’une organisation internationale impuissante
ou suspecte, mais par celui d’un empire irrésistible
et bienveillant » (Entretien avec Pierre
Hassner et Justin Vaisse, Questions Internationales,
p. 55).
En revanche, la pratique très unilatéraliste
de la politique étrangère de l’administration
Bush et son mépris apparent des institutions
et des règles internationales marque un tournant
dans l’attitude des Etats-Unis depuis la fin de
la Seconde Guerre Mondiale, alors que c’est ce
même pays qui avait présidé à
la naissance de ces institutions mondiales.
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L’équipe Bush ne constitue donc pas une
rupture dans les fins, mais bien sur les moyens, l’unilatéralisme
et la généralisation du concept de guerre
préventive (v. def) s’opposant au pragmatisme
de la pratique américaine de la politique étrangère.
Ainsi, même si le candidat Kerry s’oppose
farouchement à la politique étrangère
menée par George W. Bush, il n’a pas présenté,
sur le fond, une alternative si dissemblable. Il fonde
sa différence en priorité sur le retour
au multilatéralisme (un multilatéralisme
« musclé »…) et propose une
« nouvelle ère d’alliances ».
A suivre… |