Comprendre> Les fondements de la politique étrangère américaine (Dossier Sept. 2004)
 
 
La politique étrangère de George W. Bush : rupture ou continuité dans l’histoire américaine ?
 

Revenons à la réflexion de Kerry pour examiner la politique de l’équipe Bush : « tout simplement, l’administration Bush a poursuivi la politique étrangère la plus inepte, la plus arrogante et la plus idéologique dans l’histoire moderne ». (Discours au Council on Foreign Relations le 3 décembre 2003)

La politique étrangère de l’équipe Bush est certainement l’une des plus «idéologiques» de l’histoire des Etats-Unis. Elles s’appuie sur un événement fondateur (le 11 septembre) constitutif d’une doctrine claire (la lutte contre toute forme de terrorisme et de menaces), servie par des formules percutantes et simples telle que « L’axe du mal ». Cette doctrine est mise en œuvre à travers une argumentation très wilsonienne, se référant à la mission divine des Etats-Unis de rendre le monde meilleur. Elle a en outre l’avantage d’être assez polymorphe pour légitimer toute intervention, même injustifiée, sous la forme de « guerre préemptive », que l’équipe Bush a élevée au rang de stratégie (comme l’invasion de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein).

La référence à « l’arrogance » de la politique étrangère de Bush constitue vraisemblablement une critique de l’unilatéralisme dont fait preuve l’équipe présidentielle. En effet, John Kerry, démocrate dans la lignée de Bill Clinton, condamne l’attitude de l’équipe Bush qui, après un recours opportuniste au multilatéralisme (formation d’une coalition internationale contre le terrorisme), intervient en Irak contre l’avis général de l' opinion internationale, appliquant la formule : « multilatéraliste si possible, unilatéraliste quand nécessaire ». L’équipe Bush a ainsi l’ « arrogance » de profiter pleinement du statut de grande puissance des Etats-Unis, qui leur permet de refuser l’implication dans les accords internationaux et de faire cavalier seul (refus de faire ratifier et appliquer le Protocole de Kyoto de 1997, refus de reconnaître la Cour Internationale de Justice, …).

Ainsi, appliquant une idéologie forte, l’administration Bush ne constitue pas réellement une rupture dans la pratique de politique étrangère américaine. Au regard de l’Histoire, les Etats-Unis ont toujours associé de manière traditionnelle la moralité à la puissance. L’administration Bush marque seulement l’application d’une nouvelle obédience idéologique, « néo-conservatrice », qui allie la moralité wilsonienne, aux moyens réalistes de Roosevelt. « […] pour la première fois, le wilsonisme serait réaliste puisqu’il ne s’affirmerait plus par l’intermédiaire d’une organisation internationale impuissante ou suspecte, mais par celui d’un empire irrésistible et bienveillant » (Entretien avec Pierre Hassner et Justin Vaisse, Questions Internationales, p. 55).

En revanche, la pratique très unilatéraliste de la politique étrangère de l’administration Bush et son mépris apparent des institutions et des règles internationales marque un tournant dans l’attitude des Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, alors que c’est ce même pays qui avait présidé à la naissance de ces institutions mondiales.

« Les Etats-Unis s’efforceront constamment d’attirer le soutien de la communauté internationale, mais n’hésiteront pas à agir seuls, si nécessaire, afin d’exercer leur droit à la défense, en agissant de façon préventive contre les terroristes, dans le but de les empêcher de causer des dommages au peuple américain et au pays ».
(Stratégie de Sécurité Nationale de l’administration Bush en 2002)
 
L’équipe Bush ne constitue donc pas une rupture dans les fins, mais bien sur les moyens, l’unilatéralisme et la généralisation du concept de guerre préventive (v. def) s’opposant au pragmatisme de la pratique américaine de la politique étrangère.

Ainsi, même si le candidat Kerry s’oppose farouchement à la politique étrangère menée par George W. Bush, il n’a pas présenté, sur le fond, une alternative si dissemblable. Il fonde sa différence en priorité sur le retour au multilatéralisme (un multilatéralisme « musclé »…) et propose une « nouvelle ère d’alliances ».
A suivre…

 
Table des matières
Introduction >>>
Les héritages fondamentaux : la Destinée Manifeste et la mission des Etats-Unis >>>
Les héritages fondamentaux : réalisme et idéalisme en matière de politique étrangère >>>
Pratiques et évolution de la politique étrangère (années 1920 à 1948) >>>
Pratiques et évolution de la politique étrangère : la Guerre Froide (1947-1991) >>>
Pratiques et évolution de la politique étrangère : 1991-2004, un Nouvel Ordre Mondial ? >>>
La politique étrangère de George W. Bush : rupture ou continuité dans l’histoire américaine ? >>>
Définitions >>>
Chronologie >>>
Webographie >>>
Cartes et schémas >>>
Bibliographies >>>