Comprendre> Les fondements de la politique
étrangère américaine (Dossier Sept. 2004)
Les héritages fondamentaux
: réalisme et idéalisme en matière
de politique étrangère
Les grands spécialistes de la politique étrangère
des Etats-Unis s’accordent pour distinguer deux
grands héritages fondamentaux : le réalisme
représenté par Théodore Roosevelt
(Président de 1901 à 1909), et l’idéalisme
du Président Woodrow Wilson (Président
de 1913 à 1921).
Le réalisme de Roosevelt
(1901-1909)
Le 10ème président des Etats-Unis, Théodore
Roosevelt, avait une vision dite réaliste (c’est-à-dire
: voir les choses telles qu’elles sont) des relations
internationales : il considérait que les états
étaient des entités égoïstes défendant
avant tout leurs intérêts, par la force si besoin.
Th. Roosevelt reprenait le concept de « destinée
manifeste » afin de justifier l’expansionnisme et
l’interventionnisme des Etats-Unis hors de ses frontières.
Ainsi, en 1904, par ce qu’on appelle le corollaire Roosevelt
à la doctrine Monroe, il affirmait
le devoir des Etats-Unis à intervenir
dans la zone des Caraïbes et de l’Amérique
Latine quand leurs intérêts seraient menacés
:
«
L’injustice chronique ou l’impuissance qui
résulte d’un relâchement général
des règles de la société civilisée
peut exiger, en fin de compte, en Amérique ou ailleurs,
l’intervention d’une nation civilisée
et, dans l’hémisphère occidental,
l’adhésion des Etats-Unis à la doctrine
de Monroe peut forcer les Etats-Unis, même à
contrecœur, dans des cas flagrants d’injustice
et d’impuissance, à exercer un pouvoir de
police international »
(Message au Congrès du 6 décembre 1904).
Roosevelt tenait un discours reposant sur l’idée
de puissance, évoquant un « pouvoir de police
internationale » pour réprimer les déviances,
mais non pour propager le modèle américain.
Jusqu’à nos jours, les réalistes ont toujours
réclamé le statu-quo international (l’équilibre
des forces), ne cherchant pas à changer l’ordre
du monde à leur profit.Théodore Roosevelt pratiqua
une politique d'investissements (la « diplomatie du
dollar », surtout utilisée par son successeur
:
William H. Taft) et de menaces (« Big Stick »)
pour
faire triompher les intérêts américains
dans leur zone
d’influence (Caraïbes et Amérique Latine).
L’idéalisme de Wilson (1913-1921)
«
La présidence de Woodrow Wilson, présidence
qui, de toute l’histoire des Etats-Unis, constitue probablement
son moment le plus idéologisé »
(G.Chaliand, A. Blin, America is back, Bayard, 2003).
Le Président W. Wilson avait une vision idéaliste
des relations internationales (voir les choses telles qu’elles
devraient être, telles que l’on souhaiterait qu’elles
soient). En effet, pour lui, les relations internationales
devraient être harmonieuses et pacifiques grâce
à l’obéissance des états à
des règles de droit international et à un ordre
garanti par des organisations supranationales : « Il
doit y avoir, non pas un équilibre des puissances,
mais une communauté des puissances ; non pas des rivalités
organisées, mais une paix commune organisée
» (Discours du 22 janvier 1917 au Sénat, Wilson).
Wilson remettait en cause la diplomatie européenne
traditionnelle, reposant notamment sur le secret. Internationaliste
convaincu, il croyait en la coopération des états,
au multilatéralisme : les prises de décision
en matière d’action extérieure devraient
être prises en consultation avec la communauté
internationale et/ou reposer sur une action commune. «
C’est principalement l’idéalisme wilsonien
qui a imprimé son rythme à la politique américaine
depuis sa présidence historique, et qui l’inspire
aujourd’hui encore » (Henry Kissinger, Diplomatie,
Fayard, 1996).
Faisant sien le concept de « Destinée Manifeste »
pour affirmer la mission quasi-divine des Etats-Unis de démocratiser
le monde, il affirmait notamment :
« Je crois que Dieu a présidé
à la naissance de cette nation et que nous sommes
choisis pour montrer la voie aux nations du monde dans
leur marche sur les sentiers de la liberté »
(Ronald Steel, Mr Fix-it, in New York Review of Books,
5 octobre 2001, pp. 19-21).
Contrairement aux réalistes, les idéalistes
tiennent un discours fondé sur la morale, revendiquant
un changement du monde à leur image, afin de le faire
progresser. L’Amérique est perçue comme
le meilleur modèle démocratique du monde, la démocratie
libérale, qui s’appuie sur les libertés
publiques, mais aussi l’économie de marché.
A la même époque (années 1920-1930), l’Union
Soviétique naissante se construisait sur une idéologie
à vocation universelle dont les valeurs étaient
fondamentalement différentes et opposées à
celles des Etats-Unis : athéisme, démocratie populaire,
communisme, et rejet de l’économie de marché.
Cette opposition idéologique sur la vision du monde de
l’URSS et des USA est essentielle à une bonne compréhension
de la vision du monde des Etats-Unis durant la Guerre Froide,
de 1947 à 1991.
Enfin,
pour affirmer ses positions, Wilson reprenait les théories
de Kant, selon lesquelles les démocraties ne se font
pas la guerre. Le modèle démocratique américain
était donc considéré comme le plus vertueux,
garant de liberté, prospérité et sécurité
: « L’Amérique est la seule nation
idéale dans le monde […] L’Amérique
a eu l’infini privilège de respecter sa destinée
et de sauver le monde […] Nous sommes venus pour racheter
le monde en lui donnant liberté et justice. »
(Citation extraite de Bernard VINCENT, La Destinée
Manifeste, Messène, Paris, 1999).
Les fameux « 14 points » de Wilson,
qui servirent de base à la paix de 1918 et à
la création de la Société des Nations,
ancêtre des Nations-Unies, constituent une synthèse
parfaite de la pensée du président américain.
Pourtant, celui-ci fut désavoué par le Sénat
en 1920, qui refusa de signer le Traité de Versailles
que Wilson avait pourtant négocié : les tendances
isolationnistes avaient repris le pouvoir ; elles restèrent
prépondérantes durant les années 1920-1930.